mardi 15 janvier 2013

Stalin's not dead!

Parmi mes dernières lectures, je ne saurais trop vous conseiller de vous plonger dans "L'archipel du goulag". C'est une oeuvre fascinante, pas uniquement pour des raisons historiques, mais aussi parce qu’elle peut nous aider a comprendre comment le stalinisme est encore à l’œuvre dans nos sociétés dites "libérales".
Un poster dans le bureau du directeur départemental de ERDF
Si on compare le stalinisme aux autres totalitarismes européens du 20eme siècles, on se rend compte que celui-ci bénéficie d'une relative bienveillance dans le discours public. Une petite comparaison sur Google trend le montre assez clairement: le stalinisme et sa critique n'ont pas la cote. Pourtant il existe un domaine ou il semble être bien présent: Le management en entreprise.

Vous avez sûrement remarqué sa dernière incarnation dans les médias à propos des coupeurs de compteur d'electricité de ERDF. Je cite: 
"Le document interne, obtenu par la Rep’, relève que la direction départementale fixe un objectif de coupures de courant à atteindre. Le nombre de cinquante coupures à réaliser, au minimum, étant indiqué.

Pour gagner un lot, les agents doivent réaliser les meilleures performances. Le premier prix est un Ipad, remporté si 80% de l’objectif est atteint. C’est 75 % pour un lot d’une valeur de 80 €, 70 % pour 65 €… "

C'est un exemple intéressant car en deux phrases, on a le droit à un petit concentré de stalinisme ordinaire:
  • Le nombre d’unité produites ne semble pas dépendre des besoins réels. Ici les agents ne doivent pas par exemple "couper l’électricité des x premiers déciles des plus mauvais non-payeurs", ce qui serais logique économiquement. Non, ici ils doivent simplement en effectuer 50 minimum. Aucune intelligence, de la bonne vieille économie planifiée. Faites-en 50 et à X agents ça prendra Y mois pour traiter le backlog (ce qui n'arrivera jamais bien sur). On peut parier que les agents choisiront les cas plus faciles. Si ça vous rappelle les objectifs chiffrés dans la police mis en place par la bande à Sarko, c'est normal, c'est la même façon de ne pas penser.
  • Les objectifs inatteignables (réussir a atteindre les 80% fait de vous le meilleur..). Typique du goulag, l'objectif inatteignable est un moyen facile et courant  (la aussi pas besoin de penser, une calculette et un doigt mouillé suffisent) de casser l'estime de soi des agents et par la de s'assurer leur soumission. En plus ça fourni un reproche prêt a l'emploi pour les entretiens de fin d’année. Pratique.
  • Un système de récompenses exponentiel. L'article ne dit pas de quels iPads il s'agit, mais en prenant le moins cher d'entre-eux (le iPad mini sans options), la valeur de la récompense a 80% de l'objectif est de 339 €, a 75%, c'est 80 €, etc.. Pour m'amuser j'ai fait un petit plot:
Si vous êtes a 75% et que vous faites 5% d'objectif en plus, vous êtes donc catapulté vers un bonus 5 fois plus grand! Ça serait vraiment bête de louper ça. Quelque chose me dit que:
- soit les agents vont devoir trimer comme des ânes pour passer de 75% a 80%. Seuls les stakhanovistes réussirons sans doute en payant de leur personne. 
- soit le management a fait des stocks énormes d'iPad super chers et n'a pas prévu de faire beaucoup de chèques de 80 €.
Devinez un peu quelle est l’hypothèse la plus vraisemblable. Au Goulag, la récompense en nourriture supplémentaire des prisonniers dans le cas ou ils atteignaient leurs objectifs n’était simplement pas suffisante pour couvrir les besoins caloriques nécessaires pour atteindre ces mêmes objectifs (je parle bien sur de travail physique). Le résultat c'est qu'a force d'atteindre leurs objectifs, les meilleurs travailleurs s’épuisaient petit a petit jusqu'au point de rupture. Ils mourraient quoi. De nos jours, les gens font des nervous-breakdowns.

Un cours magistral de management dans une grande école
Comme vous avez pu remarquer, j'ai volontairement fait l'impasse sur l'aspect "moral" de l'affaire (La méchante ERDF qui veut couper le courant en hiver des gentils pauvres). Qu'une entreprise ne soit pas une oeuvre de charité et qu'elle ne soit au final qu'une machine à faire du pognon produire de la valeur sur le long terme ne me choque pas particulièrement. Si on voulait garder EDF comme service public, fallait le dire avant hein. Cependant, il est intéressant de constater que c'est uniquement cet aspect moral qui à déclenché l'apparition médiatique de l'histoire. Je cite le syndicaliste de la CGT: "De telles pratiques sont scandaleuses, à l’heure où le gouvernement se positionne sur les coupures hivernales". En même temps on va pas demander a la CGT de dénoncer le stalinisme...

Évidemment c'est cet aspect émotionnel qui intéresse les journalistes (et vous?). A part le directeur départemental de l'ERDF - qui n'est sans doute qu'un petit rouage dans la grande machine - personne n'est assez inhumain pour souhaiter que les pauvres grelottent tout l'hiver. Cependant si on va au delà de cet aspect émotionnel, quelque chose me dit que non seulement le stalinisme et son système d’allégeance, de rente sociale, de décervelage et de déresponsabilisation des agents à des effets dévastateurs sur la sante, et même sur la vie des salaries, mais qu'il est aussi en partie responsable de la stagnation de l'innovation française.

Terminons sur une citation de Coluche: "Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le communisme c'est le contraire."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire